WE ARE OUR MOUNTAINS _2014/2021
[English version below]
Comme beaucoup d’arméniens de la troisième génération, petite-fille d’une réfugiée politique, j’ai grandi dans un environnement où la mémoire était élevée
au rang d’un culte sacré. Les récits familiaux se transmettaient comme des prières, les archives devenaient des icônes à vénérer,
et le patrimoine culturel prenait une place quasi liturgique dans le quotidien.
Au cœur de ce sanctuaire mémoriel trônait, majestueusement et inexorablement,
le mont Ararat.
Le mont Ararat occupe une place unique dans l’imaginaire arménien, à la fois ancrée dans une spiritualité profonde et dans une mémoire collective marquée par le déracinement. Selon la tradition biblique, c’est au sommet de cette montagne que l’arche de Noé aurait touché terre après le déluge, faisant symboliquement de l’Arménie une terre de renouveau pour l’humanité tout entière. Mais pour les arméniens, l’Ararat est bien plus qu’un symbole religieux : il est une métonymie de l’identité nationale, une entité géographique qui incarne la résilience et l’appartenance culturelle.
Cette montagne, pourtant visible depuis Erevan, est physiquement hors d’atteinte.
En 1921, à la suite du traité de Kars entre la Turquie et l’URSS, l’Arménie perdit de vastes territoires, dont l’Ararat.
Dès lors, la montagne devint une frontière symbolique entre l’Arménie contemporaine et son passé historique, mais également entre le territoire arménien et sa diaspora, majoritairement dispersée à l’ouest.
Cette réalité géographique heurte l’imaginaire collectif façonné dans l’exil, où la montagne est devenue un pilier abstrait, idéalisé, du patrimoine.
L’Ararat est alors devenu un symbole ambivalent : d’un côté, il représente la grandeur passée et l’espoir, mais de l’autre, il incarne la perte, l’exil et la douleur d’un territoire inaccessible.
Mon projet explore cette tension entre mémoire collective et reconstruction identitaire à travers une approche multimédia, combinant archives personnelles, images trouvées sur les marchés d’Erevan, travail vidéo et photographies prises au cours des cinq dernières années.
Ce projet est à la fois une quête personnelle et une réflexion collective sur l’Ararat en tant que métaphore de l’exil et de la résilience arménienne. En retraçant les récits d’une communauté façonnée par la perte et la migration, je cherche à dépasser l’immobilité mélancolique souvent associée à la mémoire diasporique.
Commencé en 2015, pour le centenaire du génocide arménien, ce projet s’inscrit dans une temporalité symbolique. Il porte en lui la double ambition de commémorer les tragédies du passé tout en insufflant une dynamique de transformation et de réappropriation culturelle. L’Ararat, dans ce contexte, devient un miroir du potentiel humain : il est à la fois le souvenir d’une terre inaccessible et une invitation à construire un héritage vivant, non figé, en dialogue avec l’histoire.
À travers ce projet, l’Ararat n’est pas simplement un sommet ou un paysage, mais une figure de proue dans le voyage entre mémoire et identité. En confrontant les frontières géographiques et les frontières intérieures qu’il incarne, je cherche à transformer la montagne en un espace de réflexion et de réinvention, où les Arméniens – où qu’ils se trouvent – peuvent réconcilier leur passé avec leur présent.
Ce projet existe sous la forme d’un livre publié en 2015 à l’occasion de l’anniversaire du centennaire de la commémoration du Génocide Arménien.Il est imprimé en un tirage limité de 300 exemplaires numérotés et proposé dans un coffret deluxe en carton noir gaufré, accompagné d’une photographie originale et à tirage unique (polaroid), d’un sachet contenant de la terre prélevée dans la vallée d’Ararat près du monastère de Khor-Virap, de cartes postales et d’un poster.
Il est accompagné de pistes sonores, enregistrées en Janvier 2015 en Arménie et en Géorgie.
Ouvrage réalisé en collaboration avec l’auteure Anna Lounguine.


































